Conseil québécois du théâtre
Message québécois 2014
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Alexis Martin

De tous les miroirs que l’homme a inventé, le théâtre est peut-être le plus étonnant : il offre une surface sans tain, qui absorbe autant de lumière qu’elle en réfléchit. Le théâtre est un œil qui regarde l’image inversée de lui-même, une traversée des ombres, où le plus opaque devient soudainement ce qui éblouit : le présent, le contemporain, c’est ce que traque le théâtre dans les paroles et les gestes de ce qui est passé, c’est une machine à répandre l’ombre sur les lumières factices et débusquer les opacités qui parlent.


C’est un acteur ou une actrice qui convoque les fantômes d’une humanité élusive, impalpable et qui pèse pourtant de toute son ombre sur notre vie. Et de cette condensation des ombres, des manteaux de basalte naissent et tombent sur nos épaules, nous devenons les chevaliers errants du poème, nous retournons à l’ombre qui est aussi une éclaircie dans la forêt, là où est tapi l’émerveillement, cet étonnement primordial, cette avenue déchirée où nous nous sentons exister enfin, pour la première fois, distincts et nombreux pourtant, nombreux mais livrés au monde.
 
Dans le faisceau du projecteur, l’acteur, l’actrice voient danser des mondes, pulvérisation des siècles qui flottent en convois désordonnés, Tatars refluant vers la Mongolie, foule hurlant sa folie de machine dans les rues de Manhattan, germination jaune des nuits d’insomnie, Bamako saignée à blanc, le moutonnement échevelé des mers du Sud, l’émiettement des textes de loi, les flocons de salive de mille oraisons, de dix mille prêches, de milliards de métaphores échouées et transformées en sel piquant par le branle qu’un Désir souverain imprime au monde, unique moteur des astres et des cœurs. Et tout autour de ce faisceau fourmillant, il y a la mince gangue de l’ombre où l’être s’est retiré, attendant que la poussière retombe. Qu’il ou elle se taise, et le silence recompose sa toile, un moment suspendu au-dessus du plancher de scène, et nous sommes pris de vertige, celui de l’être découvrant sa nudité, face à lui-même et au monde.
 
L’œil se regarde nu et souffrant, peut-être, mais souverain, dans le théâtre d’une opacité éblouissante.

Alexis Martin


© Julie Perreault
 
 
Biographie
Alexis Martin, né en 1964 à Montréal, élève du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, codirecteur artistique du Nouveau Théâtre Expérimental.

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