Conseil québécois du théâtre
Le 13e Congrès québécois du théâtre : un rassemblement au succès porteur d'avenir
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Texte publié dans TicArtToc no. 6, « Clandestino » - Créer en marge, printemps 2016
           

Du 12 au 14 novembre 2015, le Conseil québécois du théâtre (CQT) conviait sa communauté à une réflexion collective sur le thème de la diversité culturelle dans le théâtre québécois. À titre d’interprète, de metteur en scène, de concepteur, d’auteur dramatique ou de travailleur culturel, tous issus de compagnies, du secteur de la diffusion, des festivals ou des associations professionnelles, plus de 160 participants ont pris part à ce 13e Congrès québécois du théâtre. La diffusion préalable du Cahier du participant[1], document de synthèse des rencontres préparatoires et de recherche effectuées par le CQT, a permis de fournir aux participants de solides assises pour démarrer les discussions. Ce rassemblement offrait ainsi la tribune nécessaire pour l’expression de paroles ouvertes, pour l’articulation d’idées propices à déterminer des avenues de changements et pour des rencontres entre praticiens de l’art théâtral.
 
Dans cet article, nous souhaitons offrir un survol de la démarche préparatoire au congrès et une synthèse des propos des panélistes.
 

Une problématique d’actualité
Si le théâtre québécois se réclame d’être une discipline artistique contemporaine au diapason de sa société, il doit refléter la diversité des visions et des pratiques artistiques qui en émergent. Or, nombreux sont ceux qui, depuis plusieurs années, s’interrogent à savoir si le théâtre québécois remplit cette fonction fondamentale que commande son art. Certains sont encouragés de voir que de plus en plus d’oeuvres portées à la scène sont le reflet de cette diversité artistique, mais beaucoup considèrent cette diversité encore trop restreinte, voire en décalage par rapport à la pluralité des pratiques artistiques actuelles. Force est de reconnaître que la présence de plus en plus marquée d’artistes issus des différentes communautés des Premières Nations ou ethnoculturelles pose des défis quant à leur intégration dans la vie artistique professionnelle. De même se pose la question de la diversification du public, puisque la mosaïque culturelle du Québec devrait également se retrouver parmi les spectateurs.
 

La démarche préparatoire
Afin de préparer cet événement et soutenir les travaux du comité Congrès 2015, l’équipe du CQT a mené une série de rencontres avec différents organismes et intervenants liés de près au thème de la diversité culturelle. Ces rencontres ont eu lieu avec des représentants de compagnies de création, de diffuseurs, de théâtres institutionnels, d’organismes de services, de regroupements et des conseils des arts. Elles ont permis de bien comprendre les différentes réalités vécues, de nommer les différents types d’obstacles rencontrés, d’identifier des initiatives porteuses de changement ainsi que les défis à surmonter. Elles ont aussi mis en évidence la difficulté de nommer la complexité des réalités professionnelles. Ces rencontres ont donné lieu à la rédaction d’une synthèse présentant les différentes dimensions de l’enjeu de la diversité culturelle en théâtre[2].
 
Pour définir les bases des discussions du congrès et de nourrir une réflexion approfondie le CQT a aussi réalisé une recherche démographique de la pratique théâtrale québécoise. Cette étude avait pour objectif d’établir un recensement des artistes autochtones et ceux dits de la diversité au sein des spectacles de la saison 2014-2015 présentés dans les théâtres à saison et les diffuseurs spécialisés. Il est apparu plus que nécessaire d’évaluer la présence de ces deux groupes minoritaires dans les spectacles de théâtre québécois afin d’éclairer la compréhension d’une situation encore très peu documentée
 
L’échantillon de ce portrait a regroupé 1 574 artistes embauchés dans  208 spectacles programmés dans 37 lieux de diffusion. Ces artistes ont exécuté 2 754 contrats. De cette recherche ont émergé trois principaux constats. Premièrement, les artistes autochtones ou ceux dits de la diversité ont été peu présents dans les productions théâtrales de la période examinée. Ils ont représenté 11 % des 1 574 artistes, soit 179 artistes, et la proportion des 2 754 contrats qui leur a été attribuée a été de 9,5 %. Second constat : il y a une situation particulièrement problématique de sous-représentation de ces artistes au sein des spectacles de compagnies montréalaises. Les artistes autochtones et ceux dits de la diversité embauchés pour ces productions comptent pour environ 10 %.
 
Troisième constat préoccupant de cette étude : la faible présence des artistes autochtones dans le milieu du théâtre professionnel québécois. Les résultats de la recherche suggèrent qu’ils ont été pratiquement absents du paysage théâtral québécois au cours de la saison 2014-2015. Ils n’ont compté que pour un nombre infime des 179 artistes appartenant aux deux groupes ciblés et, qui plus est, dans une proportion probablement inférieure à leur poids démographique au sein de la population québécoise, soit 1,5 %.
 
Ces travaux préparatoires ont permis d’offrir aux participants une synthèse qualitative et quantitative concernant l’enjeu de la diversité culturelle en théâtre. C’est donc sur cette solide base que s’est ouvert le 13e Congrès québécois du théâtre.
 

La réalité professionnelle de l’artiste issu de la diversité
Le premier panel portant sur la réalité professionnelle des artistes dits de la diversité culturelle et autochtones a permis d’aborder leur difficulté à pénétrer les réseaux du milieu théâtral. Malgré les obstacles rencontrés, les panélistes ont surtout témoigné d’expériences artistiques inspirantes, à Montréal comme dans le reste du Québec. Ils ont souligné l’audace nécessaire des directeurs artistiques et metteurs en scène pour parvenir à une meilleure inclusion et à une plus grande représentativité des artistes autochtones et ceux dits de la diversité au sein des spectacles de théâtre. 
 
Plusieurs ont souligné la nécessité d’une responsabilisation des artistes de théâtre et d’une prise de conscience collective sur l’importance de pratiques scéniques et dramaturgiques qui abordent les questions d’identités culturelles. C’est notamment ce qu’ont suggéré Philippe Soldevila, directeur artistique du Théâtre Sortie de Secours et Quincy Armorer, directeur artistique du Black Theatre Workshop. Il a aussi été question de lutter contre la perception erronée d’un manque d’intérêt du public par rapport à des propositions artistiques dites de la diversité, et ce, particulièrement en région où la présence de l’immigration est moins forte que dans les grandes villes. L’auteure et comédienne Anna Beaupré Moulounda l’a démontré de manière convaincante en partageant son expérience artistique réussie en Abitibi en tant qu’artiste appartenant à une minorité visible.
 
D’autres panélistes ont parlé de leur cheminement identitaire et artistique en terre d’accueil. Rahul Varma, directeur artistique de Teesri Duniya Theatre, a effectué une rétrospective critique sur son parcours artistique de plus de 30 ans. Son expérience l’amène à poser l’hypothèse d’une domination culturelle eurocentrique qui prévaut au Québec dans le milieu francophone et anglophone dit de souche. L’auteure congolaise Marie-Louise Bibish Mumbu a aussi reconnu des écarts entre la reconnaissance dont bénéficiait son travail artistique dans son pays d’origine et celle plus timide qui lui a été jusqu’ici réservée au Québec. Cette reconnaissance difficile ne l’a cependant pas empêché de parvenir à de belles réussites artistiques au travers de collaborations avec des créateurs d’ici. C’est pourquoi elle incite à un renversement de perceptions envers les personnes dites de la diversité afin de prendre conscience de la richesse qu’elles représentent pour le développement de l’art théâtral.
 
Enfin, le comédien des Premières Nations, Charles Bender, a parlé de la nécessité d’une mise à jour identitaire au sein de la collectivité québécoise. Celle-ci consisterait à promouvoir la mixité qui caractérise notre société depuis 300 ans. Il a aussi abordé les difficultés des francophones à accueillir les Premières Nations au sein du milieu théâtral professionnel, alors que le théâtre constitue un élément important de l’expression des différentes cultures autochtones. Charles Bender est d’avis qu’une inclusion passe notamment par la mise en place d’écoles de formation sur les territoires autochtones afin de faire émerger les talents dans les communautés ainsi que par une dramaturgie de la mixité. Cette dernière pourrait notamment mener à une reconnaissance collective des particularités de la langue et des accents sur nos scènes.
 

Les démarches artistiques singulières et initiatives d’inclusion
De ce second panel est ressorti le caractère essentiel des rencontres interculturelles qui favorise la création d’œuvres artistiques uniques pouvant autant être orientées vers des affirmations identitaires que vers des métissages artistiques. Si certaines des initiatives partagées s’inscrivent en partie au sein des institutions, elles font souvent partie des démarches de compagnies théâtrales qui intègrent ces rencontres interculturelles dans leur processus créatif.

Plusieurs des panélistes envisagent les initiatives d’inclusion comme un geste subversif envers les codes dominants du théâtre québécois. Chacun à leur manière, ils cherchent à bousculer les normes établies qui trop souvent excluent la différence. À travers les productions artistiques de sa compagnie Onishka, Émilie Monnet cherche à lutter contre les stéréotypes folkloriques souvent attribués aux oeuvres autochtones. Elle souhaite également combler leur manque de visibilité sur les scènes québécoises, une vision que partage aussi la directrice artistique du Théâtre Motus, Hélène Ducharme. La démarche de la directrice artistique de Repercussion Theatre, Amanda Kellock, interroge volontairement les codes dominants de plusieurs manières. Par exemple, elle crée des pièces de théâtre de répertoire destinées au public populaire, en attribuant des rôles d’hommes à des femmes ainsi que des rôles principaux à des acteurs dits de la diversité.
 
Entreprendre des initiatives d’inclusion peut aussi s’accompagner de difficultés, comme l’a illustré Hélène Desperrier, directrice artistique du Théâtre Parminou. Ses nombreuses expériences interculturelles en théâtre lui ont fait prendre conscience des complexités d’ordre organisationnel, financier et logistique liées à la rencontre entre deux cultures à travers une création théâtrale. Les récents projets artistiques de la directrice artistique de Projet Porte Parole, Annabel Soutar, l’ont amenée à un constat similaire. À travers le processus de création de ses œuvres, elle dit devoir accepter la confrontation souvent nécessaire qu’exige la rencontre avec l’Autre. Cette rencontre amène une multiplication des perspectives sur un même sujet, lesquelles sont parfois contradictoires.
 
Ces difficultés liées aux initiatives d’inclusion sont aussi présentes au sein de certaines institutions, comme l’a souligné la directrice de la section française de l’École nationale de théâtre du Canada (ENT), Denise Guilbault. Par exemple, les quelques jeunes Autochtones et ceux dits de la diversité qui ont fréquenté l’ENT au cours des dernières années se sont rapidement retrouvés confrontés aux codes d’une institution d’enseignement foncièrement différents de leur bagage culturel et de leur relation au théâtre. En guise de solution, Denise Guilbault suggère l’exploration de nouvelles avenues pédagogiques qui tiennent compte de leurs particularités culturelles.
 

Diversifier son public : le rapport scène salle
Lors du troisième panel, les intervenants ont fait part d’expériences de rapprochement de diffuseurs avec les citoyens. Ils ont tous insisté sur le travail de longue haleine qui est exigé pour susciter un intérêt continu du public envers les spectacles de théâtre. Ils ont surtout parlé de l’importance de la rencontre entre les artistes et les spectateurs qui permet d’aller au-delà de l’œuvre. C’est alors que peut se développer un véritable sentiment d’appartenance et de reconnaissance envers l’art théâtral et ses lieux de diffusion. Il y a donc été question du développement de public, de médiation culturelle, d’implication citoyenne et communautaire.
 
Comme l’a souligné Michael Toppings, directeur artistique de Montréal Arts Interculturels (MAI), une plus grande diversité passe d’abord par la responsabilisation des directeurs artistiques et une remise en question critique de leur programmation. Il est bien peu utile de continuer à parler de diversité si ce discours n’est pas accompagné d’actions concrètes. À ce propos, plusieurs des autres intervenants ont parlé des limites aux mesures traditionnelles liées au développement des publics[3]. Ils ont présenté des approches complémentaires préconisant des dynamiques d’échanges stimulant un sentiment d’appropriation du théâtre. Élodie Choqueux, chef de la programmation – Culture, éducation, loisirs à la TOHU, a présenté l’un des pans de son mandat qui consiste à contribuer à la revitalisation de son quartier. En plus d’offrir des services éducatifs et de médiation culturelle, la TOHU est engagée avec sa communauté locale à travers une programmation gratuite et hors les murs, un soutien aux pratiques culturelles du quartier ainsi que des programmes d’employabilité. Cette invitation au dialogue avec le quartier est aussi pratiquée par Espace Libre où le directeur artistique Geoffrey Gaquère a décidé de mettre sur pied différents projets visant à inscrire le théâtre dans l’espace citoyen et à réinvestir la fonction sociale de l’art. Par exemple, un projet de spectacle avec la collaboration des citoyens du quartier est en cours de préparation. Le Théâtre Aux Écuries, qui se situe dans un quartier excentré en marge du circuit principal des théâtres, poursuit un objectif similaire à celui d’Espace Libre. La directrice générale de l’organisme, Mayi-Eder Inchauspé, a présenté quelques initiatives pour l’établissement d’un dialogue avec les citoyens du quartier. Par exemple, la création d’un jardin communautaire réalisé avec ces derniers a suscité des échanges constructifs sur la diversité culturelle avec les directeurs artistiques du théâtre, échanges qui ont ensuite nourri leurs créations futures.
 
Philippe Drago, expert en marketing des arts et de la culture, a profité de son intervention pour adresser une critique à l’endroit des méthodes employées par les principaux centres de diffusion envers les communautés culturelles. À son avis, ces méthodes s’adressent à eux de manière simplificatrice et ne visent que la vente de billets. C’est pourquoi ce marketing transactionnel fréquemment employé doit être remplacé par un marketing relationnel qui préconise un dialogue dans la durée plutôt que la poursuite d’une simple fin marchande. Ainsi, les nouvelles approches plus axées sur la dimension relationnelle s’avèreraient plus susceptibles de rejoindre les publics issus de l’immigration récente et moins portés à fréquenter les théâtres.
 

Un élan encourageant et porteur d’espoir
Il est ressorti de ce congrès l'expression d'une volonté commune et hautement affirmée du milieu théâtral pour une plus grande diversité culturelle dans le théâtre québécois, ce qui représente à n’en pas douter un élan encourageant et porteur d’espoir. Après de nombreux témoignages et des discussions captivantes, les participants ont adopté huit propositions qui ont été déposées au conseil d’administration du CQT en décembre dernier. Un comité Théâtre et Diversité culturelle a alors été créé pour voir à leur mise en œuvre et agir comme un levier essentiel afin de faire avancer cette réflexion nécessaire.
 
Lors du dernier colloque du CQT en 2013, où la question de la diversité culturelle en théâtre n’avait pas été directement abordée, nombreux avaient été les participants qui disaient constater un manque d’audace artistique sur les scènes, qui observaient une homogénéisation des pratiques et qui soulignaient le manque de diversité artistique. Ce constat d’un manque de diversité sur les plans scénique et dramaturgique, voire d’une certaine standardisation sur les scènes théâtrales québécoises, a été évoqué à maintes reprises au sein du milieu théâtral au cours des dernières années. Les interventions inspirantes qui ont marqué le 13e Congrès québécois du théâtre suggèrent que le milieu théâtral gagnerait grandement à promouvoir une culture de la diversité comme un possible antidote à cette standardisation. Une telle approche est manifestement porteuse de richesse, de renouvellement et d’évolution positive pour l’art théâtral. Comme l’ont souligné plusieurs panélistes du congrès, la mise en valeur concrète de cette culture de la diversité exige cependant du courage, de l’audace et de la sensibilité. Ainsi, les réussites inspirantes entendues au congrès se multiplieront et tiendront davantage de la règle plutôt que de l’exception.
 
[1]Conseil québécois du théâtre, Cahier du participant du 13e Congrès québécois du théâtre, novembre 2015, disponible pour téléchargement
[2]Cahier du participant du 13e Congrès québécois du théâtre, p.8 à 11.
[3]Ces mesures sont notamment les accompagnements éducatifs, les animations dans le but d’outiller le public en vue de la représentation, les autres formats d’animation constitués par l’échange avec les artistes du spectacle et l’offre de billets gratuits en tant que mesure d’accessibilité.
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