Conseil québécois du théâtre
Anglesh Major, auteur du message québécois du théâtre 2021
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Message québécois pour la Journée mondiale du théâtre 
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UN JEUNE RÊVEUR
Par Anglesh Major
 
De peur de rapetisser, nous oublions de grandir.
De peur de pleurer, nous oublions de rire.
 –Paulo Coelho
 
Jeune, j’étais un enfant très rêveur.

La tête dans les nuages, je tardais à redescendre. Entre rêve et réalité, je m’absentais. Je rêvais de rapetisser devant l’immensité du monde. Je rêvais de danser avec les montagnes dans une valse sans fin. J’imaginais être ce grain de sable sur la patte d’une minuscule tortue rejoignant l’océan. Je rêvais de me faire submerger par des souvenirs et des histoires qui ne sont pas les miennes. Je rêvais que mes pensées s’envolaient sur le dos d’un oiseau vers des territoires lointains.

Les nuages dans la tête, je retardais ma descente par peur de me heurter au sol.

Le son strident de la cloche d’école avait ce don de me ramener à la réalité.

« Votre fils est souvent distrait monsieur, il semble absent » s’acharnaient à écrire en grosses lettres rouges les profs sur mes bulletins scolaires.
« À quoi penses-tu comme ça, sak nan tet ou kon sa ? (Tu as quoi comme ça dans la tête) » me demandait mon père.
« Bah à rien, papa, j’écoutais. Je te le jure. »

Je voyais dans le regard de mon père cette tristesse mélangée d’inquiétude. J’avais l’impression de tout voir dans son regard. À travers ses yeux silencieux, je pouvais entendre sa voix : « J’ai quitté ma terre d’accueil, immigré avec toi pour te donner un avenir, ne gâche pas ça, mon fils, je t’en supplie. »

Je rêvais de le prendre par la main et de l’amener dans mon monde, de lui montrer la beauté de la vie. Je voulais qu’il sache qu’il n’avait pas besoin de s’inquiéter pour moi, que lui aussi pouvait être ce grain de sable et que, s’il le voulait bien, il pouvait même danser avec les montagnes.

Pendant toute mon enfance, j’ai rêvé à ce monde invisible sans en parler à personne, jusqu’au jour où le théâtre est entré dans ma vie. J’ai compris qu’il y avait d’autres personnes qui rêvaient comme moi, que je n’étais pas seul et que le monde auquel je rêvassais sans cesse existait. Cet endroit où le temps ne s’écoule plus, mais où nous nous écoulons en lui. Ce terrain de jeu où les règles sont en constant changement, où j’ai appris à jouer avec le mystère et l’inconnu. Cet endroit où être présent ensemble, ici et maintenant, est viscéral. Cet endroit qui nous permet de nous départir du poids de l’ignorance, un état qui nous pousse sans cesse vers le bas. Le théâtre est là pour nous rappeler que nous sommes bien faits de chair et de sang. Le théâtre est là pour redonner le pouvoir et la signification aux mots, dérober le discours des politiciens et le ramener à la place qui lui revient : dans l’arène des idées et des débats.

Le théâtre est là pour que nous continuions à rêver ensemble.
 
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                                                                                                                    Out of a fear of shrinking, we fail to grow.
Out of a fear of weeping, we fail to laugh
 -Paulo Coelho
 
When I was young, I was a dreamer.

Head in the clouds, I took my time coming back down. Between dream and reality, I absented myself. I dreamed of shrinking before the vastness of the world. I dreamed of dancing with the mountains in an endless waltz. I dreamed of being that grain of sand on the foot of a tiny turtle returning to the ocean. I dreamed of immersing myself in memories and stories not my own. I dreamed that my thoughts flew away to distant lands on a bird’s back.

With clouds in my head, I delayed my descent out of fear of hitting the ground hard.

The strident sound of the school bell had this gift of bringing me back to reality.

“Your son is often distracted, sir, he seems absent,” insisted the teachers in large red letters on my report cards.
“Sak nan tet ou kon sa (what are you thinking), in that head of yours?” asked my father.
“Nothing, Papa. I’m listening, I swear.”

In my father’s eyes I saw sadness mixed with worry. It was like I could see everything in his silent gaze, like I could hear his voice: “I left my adopted home, immigrated with you to give you a future, so don’t squander it, my son, I beg of you.”

I dreamed of taking him by the hand and bringing him to my world, to show him life’s beauty. So that he wouldn’t have to worry about me, so that he could also be that grain of sand and so that, if he wanted to, he could also dance with the mountains.

Throughout my childhood, I dreamed of this invisible world without ever speaking to anyone about it, until the day theatre entered my life. That’s when I understood that there were others who dreamed just like I did, that I wasn’t alone, that the world I had dreamed about endlessly actually existed. This place where time flowed no more, but where we, we could flow in it. On this playing field with its ever-changing rules, I learned to play with mystery and with the unknown. This place where being present together, here and now, is visceral. This place that lets us leave behind the weight of ignorance pushing us relentlessly downwards. Theatre exists to remind us that we are made of skin and blood. Theatre exists to give words back their meaning and their power, to steal the speeches of the politicians and to bring them back to their rightful place: the arena of reflection and of debate.

Theatre exists so that we can continue to dream together.
 
Traduction — Alexis Diamond
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